Hyperspécialisée, la neurochirurgie se trouve au cœur de la révolution digitale que vit la médecine moderne. Pourtant, les aspects technologiques ne sont qu’une facette d’une prise en charge réussie. Pour Frédéric Schils, neurochirurgien à la Clinique Générale Beaulieu, celle-ci passe avant tout par les compétences humaines de l’équipe qui assure le suivi du patient. Interview.
De loin, on croit souvent que la neurochirurgie s’occupe essentiellement des pathologies crâniennes. Or, le spectre de cette discipline est bien plus large. Qu’est-ce qui fait le quotidien d’un neurochirurgien ?
Par définition, c’est une spécialité qui prend en charge les atteintes des systèmes nerveux central et périphérique. Cela inclut les chirurgies crâniennes classiques, en particulier celles qui visent à traiter les saignements des structures cérébrales, qu’ils soient provoqués par un choc ou un accident vasculaire. Nous opérons aussi les tumeurs et les infections. Toutefois, ce ne sont pas ces chirurgies qui constituent la plus grosse partie de notre activité, surtout lorsqu’elle s’exerce en dehors des structures universitaires. En fait, la chirurgie de la colonne vertébrale (depuis la région cervicale jusqu’aux vertèbres lombaires) constitue près de 80% de l’activité.
Vous continuez quand même à vous occuper de pathologies qui nécessitent une chirurgie crânienne ?
A la Clinique Générale Beaulieu, j’ai la chance d’avoir un plateau technique qui me le permet. Mais c’est une exception et je n’accepte que des cas bien précis. Ce sont des procédures délicates qui mettent en jeu des structures anatomiques complexes. Ces chirurgies ne sont donc proposées que lorsque la sécurité des patients est assurée à cent pourcent.
C’est donc un travail qui demande une infrastructure importante ?
Oui. Il faut pouvoir s’équiper, ce qui coûte cher, et être capable de suivre l’accélération technologique qui caractérise cette spécialité. La neurochirurgie est relativement jeune mais elle est pionnière dans de nombreux domaines. Reconstitution 3D, réalité virtuelle et surtout neuronavigation. Même si certains neurochirurgiens opèrent encore sans assistance informatique, la norme est en train de changer. Le neurochirurgien devient une sorte de pilote d’avion qui doit pouvoir évoluer au travers de structures anatomiques extrêmement fines. La marge d’erreur est très faible au vu des zones nobles que l’on opère. Se passer de technologie devient très compliqué. Des études récentes viennent d’ailleurs de montrer qu’un chirurgien, aussi entraîné soit-il, va placer une vis dans le dos de façon non optimale dans 14% des cas. Avec l’aide de la technologie, l’erreur descend en dessous des 0,3%...
Au-delà de la technologie, quel rôle joue l’équipe de prise en charge ?
C’est l’autre aspect fondamental de ce type de chirurgie. Il faut avoir un plateau technique de plus en plus sophistiqué, c’est un fait. Mais en plus, le personnel infirmier tout comme les anesthésistes doivent être formés de façon spécifique à ces prises en charge. Pour une clinique, cela constitue un engagement majeur, car cela représente une forme de surspécialisation. A la Clinique Générale Beaulieu, nous avons initié au début de l’année des itinéraires patients novateurs dits de « fast-track » ou de « rapid recovery », qui sont surtout connus pour l’instant dans d’autres types de chirurgie comme celle du ventre ou du cœur mais qui pour sûr vont à l’avenir s’étendre à l’essentiel des disciplines chirurgicales. L’information et la préparation du patient sont mises au centre du processus, ce dernier devenant un véritable acteur de son traitement. Il rencontre son physiothérapeute avant l’opération et un infirmier de référence va le suivre avant et après. Le but est de raccourcir le séjour hospitalier et d’améliorer la qualité du séjour en clinique ainsi que récupération après l’opération. Ce n’est plus le chirurgien seul qui décide quand le patient doit sortir, il est lui-même au courant des tâches et des efforts à accomplir et il peut donc suivre en temps réel sa progression et l’accomplissement des objectifs qui régissent la sortie. Le personnel qui l’entoure est également au fait des objectifs à atteindre. Cela permet d’être plus efficient. A la fin, tout le monde est content. Le malade, car il peut reprendre son activité plus rapidement, et le chirurgien, car sa réputation sera proportionnelle à la satisfaction des patients et à la qualité objective des résultats obtenus. C’est aussi une amélioration nécessaire pour faire baisser les coûts du système de santé en raccourcissant les séjours hospitaliers, en minimisant les taux de complications et en se rapprochant de parcours uniquement ambulatoires.
Y a-t-il encore une place pour le chirurgien dans ce monde ultratechnologique et très interdisciplinaire ?
Oui, il reste au cœur du processus décisionnel et d’exécution. Nous choisissons, en partenariat avec le patient, la stratégie à suivre pour le traitement. Plusieurs choix peuvent exister, valables pour la même pathologie, mais dont les risques et les bénéfices sont différents. Une personne qui travaille va ainsi peut-être privilégier une intervention légère et rapide pour reprendre son activité le plus vite possible. D’autres ont plus de temps et vont se décider pour des interventions potentiellement plus lourdes, mais aussi plus durables. Dans tous les cas, la responsabilité du chirurgien est très importante. Ce sont des opérations qui peuvent durer près de six heures. Il faut être prêt à se concentrer sur des tâches délicates pendant de longues périodes. Mais en même temps, il est de plus en plus important de se montrer pédagogue, car, malgré les progrès, la technologie n’est pas infaillible ni toute-puissante. Il faut donc accompagner le patient dans son deuil d’une médecine triomphante et à l’abri de toute erreur. Dans nos sociétés axées sur la performance, ce type de message est de plus en plus dur à faire passer mais il en va du maintien du lien de confiance unissant le patient à son médecin.